Xavier Manteca, Déborah Temple, Eva Mainau, Pol Llonch
La douleur est un problème de bien-être majeur et les ovins peuvent ressentir de la douleur pour différentes raisons médicales parmi lesquelles on trouve principalement les blessures aux pieds et les mammites. Certaines pratiques d’élevage comme la coupe de la queue et la castration, qui sont pratiquées dans de nombreux pays, sont également douloureuses. Le mulesing (i.e. technique chirurgicale d’ablation d’une partie de la peau périanale) qui est pratiqué sur les moutons mérinos australiens pour réduire l’incidence de myiase, s’avère aussi douloureux. Ces pratiques d’élevage douloureuses seront abordées dans la prochaine fiche technique sur le traitement de la douleur chez les ovins.
La prise en charge de la douleur chez les ovins est souvent insuffisante. Une des raisons avancées par les vétérinaires pour ne pas administrer d’analgésique aux ovins qui souffrent est qu’il est soi-disant difficile d’identifier et d’évaluer la douleur chez cette espèce. Par conséquent, le fait d’avoir à disposition des indicateurs de la douleur à la fois valides, fiables et faisables contribuera de façon significative à sa prise en charge, tout en favorisant une plus grande prise de conscience par les vétérinaires et les éleveurs de l’importance de la douleur chez les ovins.
Les réactions physiologiques et comportementales à la douleur sont des outils à partir desquels le vétérinaire peut évaluer la douleur. Parmi les indicateurs physiologiques, on trouve l’hyperalgésie et la concentration de cortisol et des protéines de la phase aigüe de l’inflammation. L’hyperalgésie est une douleur accrue pour un stimulus douloureux et peut être mesurée en appliquant un stimulus mécanique qui augmente progressivement la pression jusqu’à ce que l’animal réagisse en bougeant. Bien qu’ils soient largement utilisés dans la recherche, les indicateurs physiologiques sanguins ne sont pas réalisables sur le terrain ; il n’en sera donc pas question dans la fiche technique.
Dans la mesure où il s’agit d’indicateurs sensibles et non invasifs, les outils d’évaluation de la douleur reposent principalement sur l’observation de critères comportementaux. On a récemment démontré que les changements de l’expression faciale étaient très utiles. On peut aussi compter sur des grilles d’évaluation des mammites et des boiteries qui font partie des principales causes médicales de la douleur.
Critères comportementaux
Les changements comportementaux comme les postures et mouvements antalgiques, les tremblements, les vocalisations et le retroussement des lèvres ont été décrits chez les agneaux subissant une coupe de la queue ou une castration. En général, les ovins qui éprouvent de la douleur montrent les signes suivants:
Réduction de l’ingestion (et rumination).
Se lécher, se frotter ou se gratter les zones douloureuses.
Réticence au déplacement.
Grincer des dents et retrousser les lèvres.
Interactions sociales altérées.
Changements de posture pour éviter de bouger ou pour ne pas mettre en contact une zone douloureuse du corps.
Expression faciale
Des grilles d’évaluation de l’expression faciale pour évaluer la douleur ont été développées chez plusieurs espèces parmi lesquelles les rongeurs de laboratoire, les lapins et les chevaux. Ce système s’avère être sensible et fiable pour évaluer la gravité de la douleur chez les animaux. Qui plus est, ce système d’évaluation ne requière que peu de temps et n’est pas invasif.
Récemment, une grille d’évaluation de l’expression faciale (Sheep Pain Facial Expression Scale, SPFES) a été développée chez les ovins. Cette grille permet d’identifier les animaux qui souffrent de douleur causée par une mammite ou par le piétin. Sous réserve d’un minimum d’entrainement, différents observateurs obtiennent une fiabilité élevée. Les auteurs en concluent que les « SPFES » offrent une méthode fiable et efficace pour évaluer la douleur chez le mouton après un minimum d’entrainement.
Les SPFES comprennent cinq traits, chacun d’entre eux notés de la façon suivante : 0 (absent), 1 (partiellement présent) ou 2 (présent) (voir illustration 1 et 2 dans le PDF):
- Paupières fermées –fermeture de la fente palpébrale et rétrécissement de l’ouverture de l’oeil.
- Gonflement des joues– les joues adoptent une forme plus convexe dans la zone du muscle masséter.
- Posture anormale des oreilles– les oreilles sont tournées, ventralement et caudalement.
- Profil anormal des lèvres et de la mâchoire– Le profil de la mâchoire apparaît comme étant de droit à concave.
- Forme anormale des narines et du philtrum – On observe une forme en “V” entre les ouvertures des narines.
Évaluation des boiteries
Les boiteries sont fréquentes chez les ovins et sont provoquées dans la plupart des cas par une infection des pieds. La boiterie indique que l’animal ressent de la douleur. Plusieurs études ont montré que la boiterie peut provoquer une hyperalgésie. Une lésion d’un des membres entraîne une suppression de l’appui qui peut être évaluée par un score de boiterie. Des grilles d’évaluation de la boiterie son utilisées et reposent sur l’évaluation de l’amplitude de la foulée, la qualité de l’appui, le balancement de la tête, et la réticence à se lever et à se déplacer.
Évaluation des mammites
Les mammites sont des infections des mamelles chez les brebis laitières. Toutes les mammites sont douloureuses et peuvent provoquer une hyperalgésie. Les grilles d’évaluation des mammites reposent sur l’augmentation de la distance séparant les jarrets, les coups de pieds en salle de traite, et la rougeur, dureté, gonflement et lésions des mamelles.
“ Avoir de bons indicateurs de la douleur chez les ovins contribuera à une meilleure prise en charge de la douleur ”
Résumé
La pris en charge de la douleur chez les ovins est souvent inadaptée, ce qui est en partie dû au fait qu’il serait soi-disant difficile de l’identifier chez cette espèce. Les outils d’évaluation de la douleur reposent principalement sur l’observation de changements comportementaux, ces derniers étant des indicateurs de douleur sensibles et non invasifs. Les changements de l’expression faciale se sont révélés être très utiles pour l’évaluation de la douleur chez les ovins. Pour le mouton, on dispose aussi de grilles d’évaluation des mammites et des boiteries.
Références
- AWIN (2015) Welfare assessment protocol for sheep. DOI: 10.13130/AWIN_SHEEP_2015.
- Fitzpatrick J, Scott M and Nolan A (2006) Assessment of pain and welfare in sheep Small Ruminant Research 62: 55-61.
- Langford D J, Bailey A L, Chanda M L, Clarke S E, Drummond T E, Echols S, Glick S, Ingrao J, Klassen-Ross T, Lacroix-Fralish M L, Matsumiya L, Sorge R E, Sotocinal S G, Tabaka JM, Wong D, van den Maagdenberg A M J M, Ferrari M D, Craig K D and Mogil J S (2010) Coding of facial expressions of pain in the laboratory mouse Nature Methods 7: 447–479, McLennan K M, Rebelo C J B, Corke M J, Holmes M A, Leach M C and Constantino-Casas F (2016) Development of a facial expression scale using footrot and mastitis as models of pain in sheep Applied Animal Behaviour Science 176: 19-26.
- Molony V, Kent J E, McKendrick I J (2002). Validation of a method for assessment of an acute pain in lambs. Applied Animal Behaviour Science 76: 215–238.
- National Research Council (2009) Recognition and Alleviation of Pain in Laboratory Animals. Washington: The National Academies Press.